Le 5 juin 1947, dans un discours prononcé à l’Université de Harvard, le général George C. Marshall annonce un programme d’aide au développement comme le monde n’en avait encore jamais connu.
Ce «programme de reconstruction européenne» (European Recovery Program ou ERP) gardera dans l’Histoire le nom de son auteur.
Générosité intéressée
Né en 1880 en Pennsylvanie, le rapporteur du plan a gravi les échelons sans passer par la prestigieuse académie militaire de West Point comme la plupart des officiers d’état-major américains. Conseiller militaire du président Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été nommé au grade de général d’armée à la fin de celle-ci.
Secrétaire d’État (ou ministre des Affaires étrangères) dans le gouvernement du président Harry Truman, George C. Marshall veut aider l’Europe (y compris l’URSS) à se remettre sur pied au sortir de la Seconde Guerre mondiale…
Le facteur déclenchant du plan est la Grèce, victime d’une violente guerre civile entre communistes et libéraux et menacée de tomber sous la coupe des premiers. Le 12 mars 1947, dans un discours devant le Congrès américain, le président Truman proclame sa volonté de l’aider «à sauvegarder son régime démocratique». Trois mois plus tard, son Secrétaire d’État offre aux Grecs et à l’ensemble des Européens les moyens de lutter «contre la famine, le désespoir et le chaos».
Seize pays acceptent en définitive l’aide américaine : Autriche, Belgique, Danemark, Irlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse et Turquie (en fait, tous les pays qui ont échappé en 1945 à l’occupation soviétique). En 1949, ils sont rejoints par la République fédérale allemande (RFA).
Pour la répartition de l’aide américaine et la promotion des échanges au sein du Vieux Continent, les Européens mettent en place le 16 avril 1948 une organisation supranationale : l’OECE (Organisation européenne de coopération économique).
En septembre 1961, cette organisation s’ouvrira aux autres pays développés du monde occidental et prendra le nom d’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pour «promouvoir des politiques visant à contribuer à une saine expansion économique dans les pays membres, ainsi que non membres en voie de développement».
Vers une scission de l’Europe
Cependant, Molotov, commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’Union soviétique, refuse l’aide américaine sous prétexte de souveraineté nationale. C’est un premier couac dans les relations entre l’URSS et les États-Unis, les deux anciens alliés de la guerre contre Hitler.
À l’instigation de Staline, maître tout-puissant de l’Union soviétique, les États d’Europe centrale occupés par l’Armée rouge, refusent le plan Marshall et l’adhésion à l’OECE. La Tchécoslovaquie est un moment tentée d’accepter. Mais un coup d’État communiste la remet dans le «droit chemin».
On est en pleine «guerre froide» et Staline ne veut en aucune façon que ces États ne lui échappent. Ils lui paraissent indispensables à sa sécurité dans l’éventualité d’un conflit ouvert avec les États-Unis.
En guise de lot de consolation, Staline fonde le 25 janvier 1949 une organisation économique rivale de l’OECE : le Conseil d’aide économique mutuelle, plus connu sous son sigle anglais, Comecon (Council for Mutual Economic Assistance).
Outre l’URSS, il comprend la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie. Il est bientôt rejoint par l’Albanie, la République démocratique allemande (RDA), la Mongolie et plus tard Cuba. La Yougoslavie en est membre associé.
Le Comecon se donne pour objectif l’intégration économique de l’ensemble de ses adhérents par le biais d’une «division socialiste du travail». Dans les faits, par cette gestion centralisée et autoritaire des économies est-européennes, le Comecon va pressurer de toutes les manières possibles les pays d’Europe centrale au profit de l’URSS, au prix d’un énorme gâchis.
L’Europe au début de la guerre froide (1947-1950)
L’Europe au début de la guerre froide (1947-1950) Après la capitulation de l’Allemagne hitlérienne, la conférence de Potsdam (17 juillet – 2 août 1945) organise le sort du pays et de l’Europe : réparations en nature, établissement de la frontière orientale de l’Allemagne sur l’Oder-Neisse, indépendance de l’Autriche, annexion par l’URSS des États baltes, de la Prusse orientale, de la Pologne orientale.
Mais très vite émerge la rivalité entre l’Union soviétique et les Occidentaux. C’est le début de la guerre froide. Un «rideau de fer» sépare l’Europe en deux : d’un côté les pays occidentaux sous la protection de l’Amérique et de l’OTAN, qui bénéficient du plan Marshall, de l’autre l’URSS et ses «satellites». L’Allemagne elle-même est séparée en deux États hostiles l’un à l’autre…
Efficace sous conditions
Affiche allemande en faveur du plan Marshall Autrement plus efficace se révèle le plan Marshall. Étalé sur 4 ans, jusqu’en 1952, il se traduit par un total de 13 milliards de dollars de prêts ou de dons, en argent ou en nature : tracteurs, biens d’équipement… [l'équivalent d'environ 170 milliards de dollars d'aujourd'hui (2007)].
Dans les pays qui ont déjà une structure sociale solide et une population bien formée, l’aide américaine s’avère d’un profit immédiat. Elle relance l’investissement et la consommation et retentit même sur l’économie américaine en favorisant les exportations de celle-ci vers le Vieux Continent.
Dans les pays méditerranéens moins avancés, qui souffrent d’institutions opaques, l’aide se perd dans les méandres des circuits administratifs et de la corruption, sans profit pour les citoyens et l’économie. La Grèce est dans ce cas et c’est par la force armée bien plus que la vertu du dollar qu’elle sera empêchée de tomber dans le camp stalinien…
George C. Marshall recevra en 1953 le Prix Nobel de la Paix en reconnaissance de son action.
André Larané.
Quel plan Marshall aujourd’hui ?
Le plan Marshall est régulièrement évoqué chaque fois qu’il est question d’aide au développement. On voit dans son succès la preuve que des crédits et des dons massifs peuvent assurer le démarrage d’une économie. C’est oublier que le plan Marshall de 1947 a fructifié dans des sociétés déjà dotées d’infrastructures modernes, éduquées, respectueuses des droits individuels et du droit commercial.
On ne retrouve pas ces préalables dans la plupart des sociétés africaines, asiatiques ou latino-américaines qui appellent à leur rescousse un tel plan. L’argent de l’étranger (redevances pétrolières, aide internationale, charité) s’y perd dans les sables, du fait de la corruption à grande échelle, de l’arbitraire, de l’absence d’infrastructures et du poids des traditions.
Notons d’ailleurs que l’Afrique subsaharienne a déjà reçu dans le premier demi-siècle de son indépendance l’équivalent de plusieurs «plans Marshall» sous forme d’aide au développement (non compris les redevances pétrolières) sans que cela lui ait beaucoup profité.